Le théâtre, la comédie, l’art de la scène donnaient du sens à leur vie. Ils embrassaient avec résilience et dignité un métier peu soutenu et, dit-on souvent chez nous, traité en parents pauvres, faute de politique publique d’aide à nos créateurs. Ils se serrent les coudes pour vivre de leur passion jusqu’à ce qu’une balle perdue, une nouvelle catastrophe (naturelle ou humaine), une explosion sociale les obligent à fuir Haïti, sans forcément savoir ce qui les attend sous d’autres cieux, sans jamais revenir, toujours inlassablement en quête d’un avenir plus radieux. C’est là toute la trame, bien tissée, du film produit par la Brigade d’Intervention Théâtrale – BIT, et conduit par le réalisateur Réginald Louissaint Junior, passant au peigne la thématique de l’exil et de la migration, très chère à la 6e édition du festival En Lisant, croisant le destin de cinq hommes et femmes qui contribuaient au rayonnement du théâtre haïtien, il y a au moins 5 ans.
Roby Célestin, France Medeley Guillou, Bertrand Roy, Billy Midi, Libonet Fenelus sont les principaux acteurs du film à qui l’équipe de la BIT a donné la parole : leurs témoignages, livrés sans langue de bois, ni complaisance, crachent leur dégout pour un pays en déliquescence, qui brule les rêves et les ailes à petit feu, qui ne fait que boucher les horizons et gaspiller les talents. « Aller simple » répond à un dilemme, voire une équation difficile à résoudre, si l’on en croit Réginald, interviewé lors d’une causerie animée par James Pubien après la projection du film à la cinémathèque du restaurant Piment rouge. Quand on part, parce qu’ici on est à bout d’espoirs, comment se dessinent nos quotidiens là-bas, quelle vie nous attend, au-delà de toutes attentes et espérances ?
Réginald Louissaint Junior, épaulé par Pierre-Michel Jean aux caméras, a restitué ces tranches de vie, ces âmes éparses, la mémoire d’un temps où le théâtre battait son aile à Port-au-Prince, où les salles accueillaient plu fréquemment leur projet de création, en dépit du climat socio-politique macabre qui a toujours caractérisé Haïti, catapultée par la presse étrangère. Les plans sont fixes, nets et de belle résolution. Les caméras captent toutes ces mâchoires gonflées de rage, qui déclament quelques extraits du texte Errance Boulevard de France Medley Guilloux tous ces visages plissés de déception, on entend les voix à la fois frêles et amusées de ces acteurs qui racontent sans filtre leur quotidien sur la terre étatsunienne, leur dynamique de combat, leur capacité à affronter les aléas avec résilience et dignité. La force du film tient à la fluidité de ces émotions captées, aux saisissants récits de survie que le réalisateur a réussi à tresser au fil des scènes, jouées plus d’une fois sur le fil de l’intime et de l’indicible, du regard introspectif posé sur des vies.
« Aller simple », un film de Réginald Louissaint Junior d’après une idée originale de Eliézer Guérismé.
Réalisation: Réginald Louissaint Junior
Production exécutive : Eliézer Guérismé
Direction photographie: Pierre Michel Jean
Montage: Stéphane Vernet Augustin
Étalonnage son: Roodie Rigaud Marcelin
Caméras : Pierre Michel Jean, Reginald Louissaint Junior
Narration : Textes et voix : Eliézer Guérismé
Fixeur : Babas Denis Production: En lisant, Bit Haïti, K2D
Acteurs : Roby Celestin, France Medeley Guillou, Bertrand Roy, Billy Midi, Libonet Fenelus
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