L’intérieur d’une maison qui n’a l’air de rien, vieillotte, démunie.  Des meubles élimés de bois verni, aux odeurs de précarité.  Il y a là , au Yanvalou, l’histoire d’une vie tendue sur le fil – terrassée par le silence et l’absence –, d’un amour qui s’est éteint, d’un retour qui est difficile voire impossible à avaler. Drack (Johny Zéphirin), maniaque et paranoïaque, à la fois cynique et insensible, mufle et amoureux, semble avoir du sang sur les mains : celui qui était parti en mission humanitaire en Afrique, s’immisçant dans des activités louches de guerre, n’est pas celui qui est revenu. Mme Drack (Katiana Milfort), puissante, acide, intransigeante et amère, le visage buriné, les épaules lourdes de chagrin, a fermé son cœur et les portes de la maison à un homme qui a passé 31 ans à ne jamais donner des nouvelles de lui, pas même une lettre alors qu’il en avait reçu des centaines dont ceux de ses enfants Maxime et Francis.  La seule tâche à  laquelle il s’est attelé, c’est de transférer de l’argent sur le compte de Mme Drack qui elle, n’a touché à un centime de son pognon.
« L’argent ne caresse pas sa femme pour lui dire que tout ira bien demain, l’argent n’encourage pas ses enfants quand leur note baisse à l’école, l’argent ne remplace pas la douleur d’un amour qui s’échappe ».
Pendant 31 ans, Mme Drack, a dû supporter ce silence, élevant ces enfants dans la grandeur et la dignité. Il y a Hans (Farid Sauvignon), le bras droit de Mme Drack, le pauvre serviteur aux pieds calleux et ami de ses enfants, rentré d’Afrique pour venger sa famille assassinée, qui tient la maison en état pendant six ans mais se heurte à un conflit ouvert par Drack, passé pour un fauteur de troubles, avec le crâne bourré des valeurs de l’occident, souillant le calme impérieux d’une maison  Son silence a pesé lourd et entrainera des conséquences lourdes sur les rapports conjugaux.
« J’ai pris connaissance de la pièce de Wakeu Fogaing grâce à Farid. J’avais tout de suite été interpellé par le drame de l’exil, le phénomène des boat people qui frappe de nombreuses familles haïtiennes en quête d’une vie plus décente. J’avais donc profite d’une bourse de résidence artistique offerte par Fokal et l’Institut Français de Paris pour monter le spectacle, joué la première fois à Fokal », a lâché Billy Ellucien, bout d’homme à l’imaginaire ample, s’accaparant d’un sujet encore d’actualité pour en faire un hymne sur les traumas de l’absence.
Mais ce qui happe dans ce décor planté, dans cette mise en scène torride et déchirante de douleurs, c’est le manque visible d’infrastructures scéniques qui étranglent les rêves et les talents, qui coupent le souffle de la fiction théâtrale haïtienne. On dirait presqu’ici, enfiler un chameau dans l’œil d’une aiguille est plus facile que pratiquer les métiers de la scène. Malgré les lacunes logistiques, il y a la une logique de grandeur d’âme, de résilience assumée, d’éthique de responsabilité, de fatalité et de déni de soi à répugner que transpire le travail de Billy Ellucien.
Rosny Ladouceur
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