Comédien, acteur et électrotechnicien, Kenny Laguerre nait le 20 novembre 1985 à Port-au-Prince. C’est dans cette ville énigmatique, où il a passé son enfance et sa première jeunesse, qu’il a reçu son Diplôme d’Études Secondaires au Collège Le Normalien et fait des études professionnelles dans l’électrotechnique au Canado Technique. Depuis presque deux décennies, Kenny fait de l’art, particulièrement le théâtre, son principal métier.
Kenny a débuté sa formation de théâtre, en 2006, dans la Compagnie de Théâtre Ayizan, fondée en 2004 et dirigée par le metteur en scène, feu Georges Nesly, parti en 2009. Dans cette famille artistique, il a appris ses premières notions en art dramatique et en formation de l’acteur basée sur les techniques de Constantin Stanislavski. Juste après sa formation au sein de cette compagnie, en 2009, il entre au Petit Conservatoire de Daniel Marcelin où il apprend de nouvelles techniques. Il a suivi l’année suivante une formation sur le théâtre de rue sous la direction de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) avec les pédagogues et metteurs en scène du Théâtre de l’Unité, Jacques Livchine et Hervée de Lafond.
« Pour moi, le Théâtre c’est l’une des formes d’expressions artistiques les plus vivantes, une fusion entre le corps et la parole, là où on peut tout dire, même dans le silence, car le corps parle aussi bien et aussi fort que le verbe. C’est une manière de se glisser dans la peau d’un autre sans oublier sa vraie personnalité. C’est un espace où on peut se sentir vivant, se sentir vrai, où on peut corriger, critiquer et même faire une révolution sans blessures, sans casses ni violences », croit-il fermement. Encore selon Kenny, le théâtre a des vertus innombrables : «le théâtre m’a appris la patience et que c’est un métier de vieux soldats, un métier de vieux, plus on est vieux mieux on peut s’adapter sur la scène ».
Il faut dire aussi qu’une citation de Constantin Stanislavski constitue le socle de son rapport intime avec l’art : « aimer l’art non pas vous-même dans l’art », se plait à répéter ce comédien de talent pour qui la scène est un lieu sacré, où il rencontre toutes les formes de liberté, particulièrement la liberté d’expression. « On est libre de dire haut et fort, ce que les gens ordinaires ne disent que dans les coulisses » fait-il toujours croire aux jeunes comédiens qu’il forme que ce soit à Pyepoudre ou d’autres espaces culturels.
Entre rap et littérature
Avant de s’adonner corps et âme au théâtre, Kenny était un passionné du Rap. Il écrivait des textes destinés au Rap, des œuvres qui respectent les standards de la poésie, versification, rimes, etc. Il avait participé dans des concours de textes et d’autres concours littéraires organisés par son école. L’un de ses textes d’ailleurs, intitulé « Quelconque », a été sélectionné à un concours-atelier organisé par le poète James Noël, de concert avec l’Institut Français en Haïti. Malgré tout cela, il jugeait que le Rap ne pouvait pas exprimer assez ses sentiments. Il s’est orienté vers une autre forme d’art, le théâtre.
Aussi, il est important de préciser qu’il était toujours attiré par la littérature, à l’école. Il se donnait à la lecture, se rendait tous les après-midi, après les cours, à la médiathèque de l’Institut Français en Haïti, ou encore à la Bibliothèque Monique Calixte de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL). Il aimait lire les romans, les théâtres et aussi la poésie. Il affectionnait Jacques Prévert, Frankétienne et les poèmes révolutionnaires. Peu après, il s’est tourné résolument vers le théâtre.
« Je voulais un espace d’expression plus proche de la société. Je voulais surtout m’exprimer dans la peau des sans voix, car l’atmosphère politique ne laissait aucun créateur indifférent. Je me suis mis à prendre position envers les gens défavorisés. Le théâtre pour moi n’est pas un simple exercice, c’est un canevas, un prétexte pour réagir face aux affronts de la conjoncture sociopolitique qui, aujourd’hui encore, fait du tort à la société. C’est l’envie de dire, un souci de m’exprimer, un souci littéraire qui m’a poussé à devenir comédien », confie Kenny, ce responsable culturel de l’Association internationale de théâtre pour jeunes (ASSITEJ-Haïti) et conseiller artistique de l’organisation socio-culturelle Bouquets d’Espoir.
Faire corps avec son personnage
Qu’est-ce qui existait à ses débuts sur la scène théâtrale haïtienne ? Et voici ce que Kenny nous raconte : « Le courant théâtral se rapprochait de l’exhibitionnisme, du théâtre de rue, du théâtre-forum et du théâtre de l’absurde. Des courants aussi proches de ceux d’Augusto Boal, de Samuel Beckett et d’Eugène Ionesco. La majorité des compagnies étaient plutôt des écoles qui formaient les jeunes. Il existait des compagnies exhibitionnistes comme la Troupe NOUS de Guy Regis Junior, la Compagnie Ayizan de Georges Nesly, l’Atelier Le VIDE de Techlet Nicolas, la Compagnie NIF de Jean Marc Voltaire et d’autres qui s’orientaient, en dehors de l’exhibitionnisme, vers des courants beaucoup plus diversifiés (Vaudeville, Théâtre de boulevard…) comme le Petit Conservatoire de Daniel Marcelin, Dram’Art de Rolando Etienne, COP-ART de Ernst St Rome, Actelier de Paula Clermont Péan… »
Kenny ne fait la guerre avec personne. Il est toujours aux prises avec lui-même et ses personnages, ses monstres sacrés qui l’affrontent et qui veulent trouver place en lui. Et derrière le comédien et le technicien, se cache un homme chaleureux et jovial, habité par le rêve de former des jeunes afin de sauvegarder et pérenniser l’héritage du théâtre. Sur scène, selon ses propos, « il vit une toute autre réalité, celle dont parle Constantin Stanislavski, c’est-à-dire la vie même du personnage qu’il incarne ». Avec une estime démesurée pour l’humilité et ses possibilités, Kenny est ce personnage qui pense que sur la scène le comédien n’a qu’une vie, celle du personnage qu’on incarne : « C’est un être à qui on prête son corps sur la scène pour appréhender une vie, sa vie afin de faire vivre à chacun des spectateurs la réalité de ce personnage qui est plus important que tout sur la scène. On respire comme son personnage, on pense comme lui, on marche, on parle, on agit comme lui, on adopte ses mœurs, ses défauts, ses qualités et même ses tics ».
Aux termes de ses expériences de scène, ici et ailleurs, Kenny Laguerre parvient a de multiples définitions du théâtre, les unes plus élégantes que les autres : 1) «Le théâtre est et demeure l’une des meilleures formes d’expressions artistiques que le monde n’ait jamais connue » ; 2) « Le théâtre c’est le quotidien même de l’homme, une réalité ou encore un espace où le passé rencontre le présent et les deux impliquent de profondes réflexions sur l’avenir » ; 3) « Le théâtre est un monde, un univers qui offre un espace, à savoir la scène, où la passion, la sincérité, les rêves et la fraternité permettent de représenter les vrais visages des hommes, le vrai visage de la vie même, dans ses dimensions les plus subtiles » ; 4) « Le théâtre c’est l’un des seuls endroits où je peux exprimer ma sincérité, ma générosité et partager avec le monde ce qui me traverse. À travers cet espace, je peux et ose vivre une autre vie ».
Carl-Henry Pierre
KENNY LAGUERRE : PARCOURS ARTISTIQUE
Comme comédien, il a joué dans :
- 2006, Métamorphose, extrait d’un texte de Frankétienne, mise en scène par Georges Nesly, Compagnie théâtrale Ayizan.
- 2006, Adjanoumelezo de Frankétienne, mise en scène par Georges Nesly, Compagnie théâtrale Ayizan.
- 2006, Gout Lapli, écrite et mise en scène par Georges Nesly, Compagnie théâtrale Ayizan
- 2007, Foukifoura, de Frankétienne, mise en scène par Georges Nesly, Compagnie théâtrale Ayizan
- 2009, La Traversée, écrite et mise en scène par Brunatch Zéphyr.
- 2006, Totolomannwèl, de Frankétienne, mise en scène par Jean-Marc Voltaire, Compagnie NIF
- 2011, Le Cri des oubliés, écrite et mise en scène par Georges Nesly, Compagnie théâtrale Ayizan,
- 2013, Twoufoban, de Frankétienne, mise en scène par Johnny Posy et Kettelonne Pamphile, Petit Conservatoire
- 2015, Sang Brides, de Ketsia Vaïnadine Alphonse, mise en scène par MiracsonSaint-Val, Compagnie Bazou
- 2019, Pèlentèt, de Frankétienne, mise en scène par Staloff Tropfort, Compagnie ADRECE
- 2019, Quelque chose au nom de Jésus, écrite et mise en scène par Rolaphton Mercure, Quatre chemins.
- 2020, La Flambeau, de Faubert Bolivar, mise en scène par Chelson Ermoza, Quinzaine Handicap et culture
- 2020, Reconstruction(s), de Guy Régis Junior, mise en scène par Eliézer Guérismé, En Lisant, BIT-HAITI.
- 2021, Tranzit, écrire et mise en scène par de Gaëlle Bien-Aimé.
Comme acteur, il a joué dans :
- 2021, Nap Boule, court-métrage d’Alexandrine Benjamin
- 2022, O NÉGATIF, long métrage écrit et réalisé par Ricardo Tranquillin.
Il a prêté sa voix à :
-
- 2016, TIM TIM, feuilleton radiophonique produit par BLOOM S.A sous la direction de Christina Guérin.
- 2016-2017,« Zoukoutap », feuilleton radiophonique produit par BLOOM S.A sous la direction de Christina Guérin.
- 2021,« Tetelestay », feuilleton radiophonique adapté par Amos César.
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