Sherlee Skai.
C’est le nom de cette chanteuse haïtienne de la diaspora qui veut (re) conquérir son île natale.
Sherlee Skai – Sherly Débrosse, de son vrai nom- est née un 14 avril à Port-au-Prince et a immigré aux Etats-Unis en 2006 à un moment où Haïti faisait face à une crise multiforme hors-norme.
Au moment de son départ, cette femme qui a fait toute sa scolarité à Saint-Louis de Bourdon, étudiait à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH-UEH). Elle a quitté le pays en pleine tournée de la comédie musicale Starmania, production à laquelle elle collaborait et pour laquelle elle avait déjà donné plusieurs prestations.
Mais, c’est aux Etats-Unis que sa musique va s’éclore véritablement. Au cours de sa vie musicale, elle a eu des collaborations avec des artistes connus (Princess Eud, Dener Ceide, BIC, Belo). En 2017, elle a sorti “Toutouni”, un premier album de douze musiques et en avril 2023, elle a livré “Egzòd”, un second album composé de onze musiques et produit par l’immense musicien haïtien, Dener Ceide.
Avec ce nouvel album et d’autres projets ambitieux à venir, Sherlee Skai souhaite se produire sur les plus grandes scènes de world beat et devenir une ambassadrice incontestée d’Haïti et de sa riche culture dans le monde.
Focus sur son parcours artistique
Comme la majorité des chanteuses et comédiennes haïtiennes, Sherlee Skai, à ses débuts, a gravi la scène de son église avant de sortir du cadre religieux pour expérimenter d’autres choses : “J’ai grandi dans une famille protestante, j’ai ma mère qui m’a mis très jeune dans la chorale des enfants et, plus tard, le groupe des jeunes. C’est là que mon intérêt pour la musique s’est développé. J’étais également dans une école qui organisait de nombreuses activités culturelles au cours desquelles les enfants chantaient, dansaient ou disaient des poèmes, et c’est une autre plateforme qui m’a permis de faire très tôt l’expérience d’être face à un très large public”.
À l’époque où elle a commencé à chanter avec passion, il y avait une grande variété musicale. “À la radio, on pouvait écouter coup sur coup les artistes du compas, du zouk, et de la musique traditionnelle. Je pense à Beethova Obas, Belo, Boukman Expérience, mais aussi à T-Vice et Djakout Mizik”, a-t-elle dit.
Et en dehors des techniques de voix qu’on apprend à l’église avec les maestros et l’oreille que tout artiste aiguise en écoutant méticuleusement les autres artistes, Sherlee a fait une mineure en performance scénique à Los Angeles City College en Californie (2009), mais sa première formation formelle en musique a été lorsqu’elle a participé à la comédie musicale, version haitienne, Starmania, (2006) sous la direction de Bertrand Labarre, et au premier opéra haïtien Maryaj Lenglensou (2006) de Rassoul Labuchin.
Et la musique, pour Sherlee Skai, qu’est-ce que c’est ? “C’est une source d’inspiration et de catharsis. Elle m’offre un espace d’introspection et de découverte de soi, me permettant d’explorer et de donner un sens à mes propres sentiments et expériences. C’est le médium par lequel je me repère et donne un sens aux complexités de la vie, en partageant mon monde intérieur avec l’extérieur. En écrivant des chansons, je peux transformer des moments de joie, de douleur, d’amour ou de chagrin d’amour en quelque chose de tangible et de durable”.
Concernant ses prestations marquantes, ses succès auprès du public, elle nous dit que ses récentes performances sont vraiment spéciales à ses yeux : “ Je pense que je suis à un point de ma carrière où je maîtrise mon art, ce qui me permet d’être en contrôle sur scène et je peux voir comment le public réagit à cette nouvelle énergie. Le premier concert que j’ai donné pour présenter mon deuxième album à New York, en mars dernier, est le plus mémorable puisque j’ai vécu une expérience inédite sur scène. Je l’appelle mon premier orgasme musical et lorsque j’ai vu les gens se lever et crier dans le public, j’ai su qu’ils le ressentaient aussi”.
Évidemment, il y a une autre forme d’art qui la passionne à part la musique et c’est la mode : “Je suis très passionnée par la mode, ce qui se voit dans mes choix vestimentaires lors de mes spectacles. J’ai collaboré avec de formidables designers haïtiens pour mes looks de scène ou mes vidéos car c’est un aspect important de ma présentation. J’ai un blog sur Instagram et tiktok appelé police.chic qui se concentre sur le style et la mode et c’est ainsi que je partage des inspirations et des conseils sur la mode”.
Sherlee Skai a-t-elle une manière de définir la musique ? “La musique est mon véhicule d’expression personnelle, qui me permet de partager mon point de vue unique avec le monde. C’est mon moyen d’expression le plus efficace et profond. C’est ainsi que je marque les moments importants de ma vie. C’est vraiment une partie incontournable de qui je suis et ceci même si auparavant je ne la poursuivais pas en tant que carrière”. Et quand elle est sur scène, dit-elle, “c’est une expérience libératrice et transformatrice. C’est un mélange de sentiments, de vulnérabilité et d’introspection. Dans l’ensemble, la scène est un espace dynamique chargé d’émotions qui me permet d’entrer en contact avec mon public d’une manière puissante et personnelle. C’est une conversation avec le public. C’est la possibilité de partager mes émotions et mes sentiments avec eux à travers mes paroles et ma musique. Cette connexion est vraiment spéciale”.
Focus sur “Egzòd” : album produit par Dener Ceide
En substance, l’album de Sherlee Skai, comme son titre l’indique, traite de la question de la migration. “Egzòd”, au-delà de l’engagement d’ordre musical, c’est l’histoire d’une chanteuse qui a mis ses mains dans la patte.
“Ce projet est inspiré par mon travail avec les migrants sans papiers par le biais de l’organisation Haitian Bridge Alliance depuis 2016. Ce travail m’a permis de voir non seulement les raisons pour lesquelles les Haïtiens quittent Haïti, mais aussi les risques mortels qu’ils prennent dans ce voyage, le racisme à leur égard dans le processus d’immigration aux États-Unis, et les obstacles auxquels ils sont confrontés après leur entrée dans ce pays, qu’il s’agisse de soutien financier ou d’années de lutte pour obtenir un statut d’immigrant documenté. Lorsque vous entendez les histoires de la jungle Le Darién, où des mères perdent leurs enfants dans les falaises, où des femmes sont violées et des pères tués devant leurs enfants ; cela reste ancré dans votre esprit. Ce travail m’a vraiment révélé que ma musique avait l’obligation de défendre quelque chose de plus grand que moi, qu’elle doit être une voix pour celles et ceux qui ne peuvent s’exprimer. C’est de là qu’est né EGZÒD. Ma chanson Del Rio raconte l’expérience humiliante que les Haïtiens ont vécue au Texas en 2021. Je l’ai vue de mes propres yeux, car j’étais sur place avec l’organisation. Et cette chanson, Del rio, et mon album, Egzòd, sont pour moi une thérapie et un hommage à toutes ces personnes meurtries par les voyages de fortune”.
Au-delà de cette thérapie et cet hommage, Sherlee Skai croit que “cet album est la représentation de son engagement social pour revendiquer des politiques d’immigration non racistes aux États-Unis, en particulier envers les migrants noirs, des politiques étrangères moins racistes, et généralement la libération d’Haïti et de son peuple en centrant et en célébrant la culture haïtienne et en dénonçant ses antagonistes internes et externes.”
Et que pense-t-elle du déplacement des gens dans les quartiers en Haïti, ce qu’on peut appeler une migration interne et qui est tout aussi une forme d’exode ? Sans à-peu-près, elle a déclaré que “leur déplacement, qui est dû à la violence des gangs, indique que ces communautés sont abandonnées par le gouvernement et que les criminels sont ceux qui détiennent le véritable pouvoir en Haïti. Le nombre de familles déplacées s’élève à plus de 200 000 aujourd’hui. Nous ne pouvons qu’imaginer ce que cela représente en termes de perte de vie, de ressources financières, de liens communautaires. Ma famille possède une maison à Martissant depuis mes arrière-grands-parents et qu’aujourd’hui, cette maison est occupée par des gangs”.
Sherlee Skai a poursuivi que “ces familles qui fuient la violence des gangs subissent des traumatismes profonds qui, certainement, auront des effets durables sur leur santé mentale, en particulier pour les enfants qui sont aussi témoins ou victimes de ces violences”.
Et comme membre de la diaspora haïtienne, Sherlee Skai, artiste très engagée dans les causes de son peuple, vit très mal ce phénomène de migration interne : “ Haïti c’est ma terre. Ces gens sont ma famille. C’est personnel, et c’est absolument déchirant, surtout quand on se sent impuissant face à ce désastre. En terre étrangère, lorsque je vois comment les États-Unis soutiennent l’Ukraine et non Haïti, je me sens indignée et dégoûtée. C’est comme dire que les vies en Haïti ne comptent pas. C’est carrément ça. Mon cœur se brise chaque jour, à chaque message, à chaque nouvelle, à chaque publication sur les réseaux sociaux. C’est affreux. Cela pèse lourdement sur ma santé mentale”
Carl Pierrecq
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