Texte : Rosny Ladouceur | Crédit photo : Yves Osner Dorvil
Une coulante chanson aux teintes de blues, signée Distel, constitue la toile de fond sonore introduisant le monologue du Président (Derilon Fils-Derilus), enfilant un quarabella et son chapeau d’intellectuel, calé sur une chaise, se vautrant dans des livres empilés sur son bureau. Il dit se reconstruire, trop occupé à assimiler, peut-être,  les recettes de la bonne gouvernance, jusqu’à ce que le Ministre Plan –Kenny Laguerre (son bras droit au sein du gouvernement), le souffle court et l’air apeuré, vienne secouer sa conscience et l’alerter que tout ne va pas, qu’il ne fait rien, que c’est la grogne.  L’emblème même d’un Etat failli, à qui l’on reproche son insouciance, son irresponsabilité et son dédain face aux désidératas populaires. Est peint d’emblée, sans clémence le portrait d’un chef d’Etat de penchants autocrates, épris de savoir mais passif, hâbleur, habillant ses répliques d’ironie, de rire taquin, passant par moment en dérision le quotidien triste d’une masse privée des services publics de base, de ses droits à la sante, à la justice et à la vie. L’opposition grande-gueule,  (incarnée par Chelson Ermoza), la tête lourde d’idées ambiguës, opportuniste et affairiste, s’autodésignant (avocat du peuple),  en vient à souffler son ras-le-bol face à un gouvernement qui ne fait rien mais attend son heure pour sucer le corps étatique jusqu’aux moelles.
Celui qui incarne la figure même de la présidence va devoir compter sur une concubine séduisante, extravagante (Ericka Julie Jean-Louis) qui se la coule douce dans les couloirs du pouvoir, qui soigne ses accointances, qui vit dans l’intimité du président et dans le gout du luxe mais qui attrape cette opposition dans les nasses de son charme, faisant tout pour conserver son titre, se servant admirablement bien de son pouvoir d’influence pour amadouer  d’autres membres du gouvernement. Ce qu’on oublie c’est que cette Mme la Présidente tire un peu trop sur la corde, voulant même peser de tout son poids dans les prises de décisions publiques comme organiser des festivités pour calmer les tensions populaires, pendant qu’un ministre de la Santé aille se faire soigner à Cuba aux frais de l’Etat (faute d’infrastructures sanitaires ici). La ministre de la Justice ne se sent même pas interpellée par l’évasion spectaculaire d’incarcérés. Avec un Président  de brèche  avec un ministre (Farid Sauvignon) qui a la charge de reconstruire le pays après le séisme meurtrier du 12 janvier mais a préféré piller le trésor public, les heures de ce règne sont désormais comptées. Son mandat est bouclé dans la solitude.
Le metteur en scène Eliézer Guérismé, traine son regard acerbe sur une élite politique sans vision et programme pour la masse déshéritée, campe autour du Président d’autres personnages politiques se livrant au théâtre de la gabegie, empruntés à la politique haïtienne pour traiter un sujet épineux, voire qui fâche: la reconstruction.
Eliezer Guérismé a voulu toucher la plaie du doigt en signant une mise en scène éclairante ou les limites du texte ont été poussées.
Pour avoir grandi dans un quartier précaire, bidonvillisé, Eliezer Guérismé sait très bien ce que le mot (re)constructions signifie dans ce triste épisode (12 janvier) de l’histoire contemporaine haïtienne. On parle ici de milliards volatilisés et retournés dans les poches de ceux qui les ont décaissés, on parle d’échec de l’aide étrangère, d’irresponsabilité de l’Etat, d’ONG bien étriquées dans leurs costumes d’autorités locales, d’aspirations de tout un peuple foulées aux pieds, du cortège humanitaire faufilant dans des corridors de débris, de toutes ces âmes endolories qui prenaient leur destin en main, cherchant à (re)cartographier eux-mêmes leur propre ville. « Ce n’est pas un jeu ». Il ne faut pas non plus gommer cet élan de solidarité internationale éteint à petits feux au flanc d’une montagne de promesses jamais tenues.
Il s’est emparé d’un sujet que la chronique a maintes fois trempé dans l’encre de la confusion, il s’est servi d’un texte qu’il a lu et relu bien avant sa publication. Il a dû grimper toute une pente de risques pour livrer avec recul une lecture plus personnelle de l’œuvre. Il reconnait avoir réussi le pari : dresser le bilan amer d’une décennie politique caractérisée par la gabegie dans l’appareil étatique, vache à lait de politiciens qui rêvent de gouter à l’ascension sociale.
Ce qui happe d’emblée dans sa facétieuse radiographie de la classe dirigeante, c’est la corruption ambiante, le clanisme, le copinage et le népotisme qui ponctuent les prises de décisions politiques, la faillite des élites socio-politiques qui conduisent à l’explosion populaire, donnant toujours du large à l’opportunisme.
[…de cette question de Reconstruction, l’histoire retiendra si peu, si ce n’est que cela a été un fiasco sur toute la ligne. Une débauche inutile d’argent, d’énergie. J’ai toujours voulu mettre en scène une pièce abordant cette question de Reconstruction, m’amenant à aller au-delà de l’érection des édifices publics et privés, aller au-delà des redditions de compte si importantes qu’elles soient, responsabiliser les coupables tout en abordant de manière sous-entendu la question de la déconstruction des mécanismes sociaux générateurs de misère ».
En somme, tout le drame dans cette affaire de Reconstruction pourrait bien se résumer ainsi. Tristement. Tous ceux qui étaient (ou sont) appelés à nous relever dans la dignité aux yeux du monde après cette pénible catastrophe (sans oublier toutes celles humaines qui ont suivies) ont les tripes vides de vision, d’idéaux de progrès, de développement et de changement de paradigmes dans la pratique politique.   La machine de la Reconstruction d’Haïti est tombée en panne.  Sauf que le metteur en scène  nous confronte à un dilemme : celui de reconstruire à la fois l’humain et l’espace physique ?
Add Comment