En Lisant ou le théâtre en briseur de désespoir…

En Lisant ou le théâtre en briseur de désespoir…

En Lisant ou le théâtre en briseur de désespoir…

Le festival En lisant est toujours à l’écoute des échos du monde. À travers ses créations et sa programmation artistique, il tente de parler du monde et de ses conflits. Aujourd’hui, Haïti traverse une crise politique multiforme, une période d’incertitude. C’est peut-être le moment le plus critique de son histoire. L’haïtien a sentiment que le bateau est en train de couler.

Le théâtre est ce lieu de catharsis, et c’est sur la scène d’En lisant qu’elle criera son désespoir et tentera de faire son deuil.

La guerre entre l’Ukraine et la Russie touche l’Europe en plein cœur. Côté cour, pour reprendre ce jargon théâtral. Mais du côté jardin, la porte de l’espoir doit s’ouvrir : l’art doit monter sur scène pour réaffirmer la condition humaine, pour que l’on soit humain autrement, comme dirait Souleymane Diamanka.

L’Europe a toujours été un continent où le théâtre a su parler. Le théâtre de Lagarce a traduit fidèlement cette fin du monde annoncée. Le théâtre a toujours été, en Europe mais aussi partout dans le monde, un rempart et un moyen pour faire cesser les luttes, il offre une voie pour dialoguer autrement. Les guerres sont le symbole de l’incommunicabilité entre les humains. La scène, la lumière des projecteurs, le rideau : tout est là pour que le débat ait eu lieu.

Le Proche-Orient traverse en ce moment un conflit d’une intensité sans précédent. En Israël, en Palestine, à Gaza, au Yémen, en Iran, au Liban, des vies sont fauchées dans l’indifférence et au nom de la guerre. Sous prétexte de la guerre, des corps sont mutilés, des enfants tués, leurs dépouilles jetées dans des fosses communes, comme si la vie en soi était une pandémie qui décime sans distinction.

Outre les pertes humaines, des familles sont brisées, des peuples sont déracinés, arrachés à leurs terres et dépossédés de tout ce qu’ils possédaient. Déracinés, ils sont condamnés à l’exil, à quitter la terre qui les a vus naître et grandir, à ne jamais retrouver leur foyer.

Un théâtre est né de ces conflits incessants au Moyen-Orient, celui de Wajdi Mouawad, qui décrit avec force les familles déchirées par les armes et les guerres civiles. Incendies, sa pièce emblématique, témoigne de ces tragédies humaines. Des âmes sont brisées, des enfants ne reverront jamais leurs pères, des bébés encore allaités sont arrachés à leurs mères. Ce texte sera lu au festival pour témoigner de ces crimes odieux perpétrés par la haine. 

Ça ne passe pas. Ces gens ne sont pas les bienvenus. Ils seront rejetés en Méditerranée ou arrêtés pour être renvoyés chez eux, dans la misère, afin d’affronter les guerres que nous avons contribué à créer.

L’Europe ne sera pas la poubelle du monde pour l’Afrique. Ça ne passe pas de Claudine Galea raconte, avec une violence percutante dans les mots, les traitements inhumains infligés à ces pauvres gens qui prennent la mer pour traverser jusqu’à Lampedusa. Ce n’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme, comme le chante Renaud.

En Haïti aussi, des gens prennent la mer — ou est-ce l’inverse — pour tenter de connaître une vie meilleure, au péril de leur vie. Ça ne passe pas sera joué cette année. Claudine Galea revient au festival cinq ansaprès, et cette fois c’est Stéphanie François qui portera ses mots. Encore merci à Sacha, qui nous avait fait découvrir l’écriture sensible de Galea à travers la mise en scène de Au bord en 2019.

Au regard de toutes les crises actuelles, quel est l’avenir du théâtre ? Quel est le rôle du comédien dans ce contexte troublé ? Que joue le théâtre aujourd’hui, quelle est sa place dans nos sociétés en perpétuelle mutation ? Quelle est l’utilité du théâtre en temps de guerre, quand les armes parlent plus fort que les mots et le corps du comédien ?

Et si c’était la fin des guerres, que penserait le théâtre ? Quelle part d’humanité pourraient encore offrir nos clowns tristes sur scène, face à la noirceur du monde ?

Philippe Violanti nous propose un texte intitulé “ABCD ou Ange etc.”, une sorte d’abécédaire de l’essence même du comédien dans ces temps de conflits. 

En lisant, c’est également l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs et d’autrices dramaturgiques. Une palette de noms sera présente pour cette édition : Luis Bernard Henry, Naïza Fadianie Saint-Germain, Phanuella Tommy Lincifort, Rolaphton Mercure et Stéphanie François.

Le théâtre a le devoir de s’exprimer, de ne pas rester silencieux. Que ce soit sous forme de clown, masqué, à visage découvert, dans la tristesse ou la joie, en drame, en comédie ou en tragédie, nous avons pour mission de parler aux gens et de les inviter à se réarmer intellectuellement.

 

Eliézer Guérismé
New York, 27 septembre 2024.

Crédit photo: Guérinault Louis

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