Frantz Providence, l’architecte discret de la scène.

Frantz Providence, l’architecte discret de la scène.

Il y a des artistes que l’on remarque sur scène, sous la lumière brûlante des projecteurs, et il y a ceux dont leur travail se glisse dans l’ombre. Frantz Providence appartient à cette seconde famille : celle des créateurs invisibles et pourtant indispensables, ceux qui sculptent la scène avant même que les comédiens n’y posent un pas. Scénographe par conviction autant que par instinct, il avance dans son métier avec un amour singulier, une attention portée aux détails que d’autres ne verraient pas probablement aussi facile.

Dans l’univers de Frantz Providence, l’espace scénique n’est ni décoratif ni secondaire. Il est essentiel, presque vivant. Il respire, il écoute, il attend. On comprend vite, en discutant avec lui, que la scénographie n’est pas seulement un métier, mais une expression de la vie sous forme artistique.

Des débuts non prometteurs

Cet amant de la scénographie a découvert le théâtre à la vingtaine grâce à deux amis qui l’ont intégré dans une troupe. Au début, il évoluait dans cette troupe en tant que comédien et participait en même temps à des ateliers de création d’œuvres d’art.

Frantz explique : « Mon premier contact avec le théâtre a été assuré par deux amis : Billy Midi et Schneider Laurent. Ils étaient des diseurs et comédiens qui offraient des spectacles un peu partout. Ils m’ont intégré dans une troupe qu’ils avaient qui portait le nom de Dram’art. J’ai intégré ce groupe comme comédien. »

Frantz est quelqu’un qui a une grande dextérité dans les tâches manuelles. Il n’investit pas trop d’efforts pour saisir et concevoir un objet fait avec la main. Très vite, ses talents se sont dévoilés.

Il confie que : « Depuis tout jeune je nourrissais un amour pour les travaux manuels. J’ai une grande habilité à travailler avec la main. J’ai participé à plusieurs ateliers de création d’œuvres d’art avec Dram’art. Au début, je ne connaissais pas trop bien le domaine. Mais, je suivais encore avec attention tous les ateliers. Ainsi, grâce à ces ateliers, j’ai pu développer mes compétences pour ce métier. »

Il se souvient encore de l’une de ses premières expériences au cours de laquelle le responsable principal du projet sur lequel il travaillait, Fréderic Vial, l’a félicité pour sa manière de faire.

« Lors d’une expérience comme stagiaire sur un projet de film de Raoul Peck, le responsable a beaucoup apprécié mes compétences au point de me désigner comme son assistant pour la suite du projet », relate-t-il en affichant une certaine fierté.

Frantz a véritablement commencé sa carrière en 2009, notamment après avoir achevé plusieurs séries d’ateliers de formation avec Dram’art. Doté d’une grande aisance dans l’accomplissement des tâches manuelles, Frantz a vite suscité l’attention dans ce métier peu connu du grand public.

« J’ai vraiment commencé à travailler comme artisan et scénographe en 2009. À partir de cette année, plusieurs personnes ont commencé à me contacter pour solliciter mes services », affirme-t-il avec un air de satisfaction.

Curieux de tout ce qui concerne les métiers du spectacle, Frantz ne reste jamais inactif. Il surveille tout. Il continue à suivre constamment des cours et à faire des recherches sur la scénographie.

« Après avoir réalisé mes premiers travaux pour des clients, je ne restais pas là. J’ai continué à suivre des formations et à faire des recherches sur le domaine afin de mieux le comprendre », souligne-t-il.

En 2012, il a laissé le devant de la scène pour passer derrière la scène. C’est un abandon définitif, car depuis plus de 10 ans, il reste derrière la scène. C’est pour cela qu’on le connait mieux comme scénographe que comédien.

« Depuis 2012, j’ai cessé de travailler comme comédien pour me consacrer à la scénographie. Depuis lors, je ne fais que cela : travailler comme artisan, scénographe et décorateur. Sincèrement, je me sens mieux derrière la scène », explique-t-il.

L’année 2013 fut importante pour lui, il a rejoint le festival Quatre Chemins et, deux ans après, il s’est engagé avec le festival En Lisant. Depuis, son chemin s’est tracé lentement, par des rencontres, des collaborations, des projets qui demandent plus de cœur que de moyens. C’est dans ce nouveau rôle que s’est façonné son style : un mélange de sobriété méditative et d’audace subtile.

La scénographie, l’âme du spectacle

La scénographie est pour Frantz l’âme du spectacle. Car elle rend le spectacle vivant. Sa vision de la scénographie transcende le simple fait d’organiser un espace pour l’exécution d’un spectacle. Elle est l’incarnation de la vie en terme d’organisation.

« Ma vision de la scénographie s’insère dans celle que j’ai pour la vie. La scénographie, c’est l’art qui permet d’organiser un espace pour un spectacle ou tout autre événement. Elle est liée à la vie sur ce point. Car tout comme nous organisons notre vie de manière quotidienne pour atteindre des objectifs, la scénographie suit une démarche similaire. Elle nous permet d’organiser un espace physique pour mettre en scène un moment. Peu importe le moment. Il permet de créer un environnement au public afin de faciliter sa lecture de l’œuvre qui est en scène », explique-t-il.

Et, il ajoute : « Dans le cinéma, la scénographie, c’est organiser la scène. Assurer le décor, y compris en ajoutant de la lumière et du son. Dans le théâtre, le scénographe travaille directement avec le metteur en scène. Ils doivent travailler ensemble pour trouver une compréhension commune du texte afin d’organiser l’espace théâtral. »

Le spectacle dépend de tous les métiers y afférents. Donc pour Frantz, sans les métiers du spectacle, il y a pas de spectacle. Sur ce point, il avance ce qui suit : « J’aime souvent le dire avec d’autres amis, les métiers du spectacle sont aussi importants que le spectacle. Il faut avoir certes des comédiens pour le spectacle, mais il faut avoir également des professionnels pour concevoir la scène, pour ajouter de la lumière et pour gérer le son. »

Frantz porte une grande attention aux objets. Pour lui, ils constituent un pilier essentiel dans la mise en scène du spectacle. Il explique que les objets de fond en scénographie sont fabriqués à partir du texte. C’est la compréhension du texte qui permet d’avoir une idée de la manière de les concevoir.

Concernant la scénographie haïtienne, Frantz admet qu’elle est unique. Pour lui, c’est une vitrine qui expose la culture haïtienne sous divers angles.

« La scénographie haïtienne est une vitrine qui expose la culture. La plastique haïtienne est quelque chose unique, tout comme la musique haïtienne, la peinture haïtienne ou la gastronomie haïtienne. La manière même de faire les décorations est typiquement liée à la culture haïtienne », explique-t-il.

Au fond, ce qui distingue vraiment Frantz Providence est cette façon singulière de penser l’espace non comme un cadre, mais comme un partenaire du récit. Un espace qui porte, amplifie, révèle et qui donne du sens au spectacle.

La scénographie au quotidien

Rien ne le destinait officiellement à devenir scénographe. Il n’avait pas d’artistes célèbres dans sa famille, pas de modèles flamboyants à imiter. Il avait seulement cette sensibilité particulière pour les formes, les volumes, les ombres, les silences qu’il contemple à longueur de journée dans son quartier.

« Dans ma famille, il n’y avait pas d’artistes. J’ai eu comme seul repère les artisans de mon quartier à la rue du Centre, à Port-au-Prince, qui confectionnaient des objets d’art. C’était amusant pour moi de les regarder transformer de simples déchets métalliques ou plastiques en véritable œuvre d’art », affirme celui qui est maintenant responsable technique du festival Quatre Chemins.

Des formations en arts visuels qu’il a suivies par ci et par là lui offrirent un premier langage, une première grammaire pour exprimer ce qu’il ressentait. Maintenant, Frantz pratique que cela. La scénographie devient son quotidien.

Depuis 2022, Frantz a mis sur pied une entreprise qui loue et confectionne des accessoires de spectacle. Frantz Providence, père de deux enfants, une fille et un garçon, reste un professionnel actif du secteur artistique. Il raconte :

« Cela fait trois ans depuis que j’ai créé une boutique qui vend, loue et crée des accessoires pour des spectacles. Je suis aussi artiste. Je crée des œuvres à partir de matériaux recyclés. En fait, je travaille exclusivement dans le domaine artistique. »

Les obstacles d’un métier méconnu

En Haïti, il est un fait courant que les professionnels rencontrent des obstacles dans la pratique de leur métier. Les scénographes ne sont pas exempts. Ils rencontrent d’importantes difficultés dans la pratique de ce métier qui est encore peu connu du grand public.

Les obstacles dans ce milieu sont matériels, économiques, logistiques. Pour Frantz, le manque de budget et l’absence d’espace dédié au théâtre sont les deux plus grands obstacles qu’il rencontre depuis qu’il a commencé à pratiquer ce métier dans le pays.

« Le premier obstacle dans ce métier est d’ordre budgétaire. Il n’y a pas toujours assez d’argent pour investir dans le théâtre. Le deuxième obstacle est lié aux espaces. Dans le pays, les espaces de théâtre sont rares. Ce n’est pas toujours facile de trouver des espaces adéquats pour mettre en scène un spectacle. Ainsi, quand une personne vous prête un espace, vous ne pouvez pas vraiment créer à l’intérieur. Vous pouvez que vous accommodez, » confie le scénographe quadragénaire.

Dans un milieu où la crise économique est omniprésente, où la culture doit souvent se battre pour exister, la scénographie devient un exercice de patience et d’ingéniosité. Faire beaucoup avec peu, imaginer grand dans un espace exigu, improviser avec les moyens du bord : voilà son quotidien.

Il est à noter que Frantz Providence n’est pas seulement scénographe. Il est décorateur, directeur son et lumière, metteur en scène. Il travaille dans le théâtre tout comme au cinéma. Il a déjà collaboré avec plusieurs metteurs en scène et producteurs de renom du pays comme Michèle Lemoine, Jean-René Lemoine, Rolando Étienne, Guy Régis Junior, Éliézer Guérismé, Chelson Ermoza, Miracson Saint-Val, Bruno Moural, Raoul Peck, Nicolas Viellât, pour ne citer que ceux-là.

Il reste très attaché à la scène sans pour autant être au-devant. La scénographie est pour lui un moyen de toucher le public de façon intime et particulière. Un décor peut rappeler un souvenir, évoquer une peur, suggérer un espoir. C’est cette interaction subtile entre espace et sensibilité humaine qui le passionne.

Terry Vebert BELFLEUR

Foto: Valencia Joseph Casimir

1 Comment

  • Eliezer Guerisme Posted 4 décembre 2025 23 h 43 min

    C’est un très bel article !

    Papier, Papier, Papier.

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