Édito : Le théâtre des déplacé·e·s !
Nous ne sommes plus en 2010. Il n’y a pas eu de catastrophe naturelle provoquant un déplacement massif de la population, mais, aujourd’hui, à Port-au-Prince, des gens vivent dans des camps. On dirait des jungles. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans son rapport de mars 2024, plus de 84 sites de déplacé·e·s hébergent 86 040 personnes, des statistiques qui ne font qu’augmenter à mesure que les violences prennent de l’ampleur. Ces personnes ont été contraintes de quitter leur domicile pour se réfugier dans des camps de fortune, sous le regard complice des autorités. Cette situation touche également les enfants. Quand ils ne sont pas recruté·e·s par les bandes criminelles pour grossir leurs rangs, ils sont placé·e·s dans des camps et connaissent une situation inhumaine. Ces enfants, qui devraient être dans des salles de classe pour apprendre, se former, s’éduquer, se préparer à demain, parce qu’ils sont l’avenir de ce pays, se retrouvent coincé·e·s, piégé·e·s par la misère, la faim, la soif, une surexposition à toutes sortes de maladies dermatologiques… Ces enfants n’ont pas accès aux divertissements et loisirs.
Un·e adolescent·e a besoin d’un lieu sain pour s’épanouir, un environnement propice au développement de son esprit. La BIT Haïti a toujours privilégié les activités ludiques et culturelles en faveur des enfants à travers ses différents programmes. Cependant, certain·e·s parents ont une très mauvaise perception de l’art. Ils l’assimilent à une “perte de temps”.
Aujourd’hui, nous avons décidé d’aller vers les gens, comme nous l’avons toujours fait. Nous revendiquons l’idée d’un théâtre qui va à la rencontre des gens et non l’inverse : un théâtre au service des populations et des communautés, un théâtre de construction massive. Nous avons mis en place ce programme pour raviver l’espoir dans les yeux de nos jeunes, offrir un espace de débat à ces adolescent·e·s, faire de l’art un échappatoire et un lieu de parole. Dans le théâtre de l’opprimé de Boal, théoricien et homme de théâtre brésilien, il souligne l’importance de placer la population au cœur de l’acte théâtral, encourageant un art participatif où ce dernier est utilisé comme outil pour explorer les problèmes sociaux. C’est ce dialogue que nous proposons à travers Teyat kwape vyolans : un dialogue entre théâtre, adolescent·e·s et artistes, visant à éveiller la conscience des plus jeunes sur leur situation. Transformant leur situation de déplacé·e·s de l’intérieur en un moyen de replacer leur vie au centre des priorités actuelles.
Eliézer Guérismé
Directeur artistique de la BIT HAÏTI
12 mai 2024
Crédit photo : Carlin Trézil