17 mai 1987, une date fictive que j’ai arbitrairement choisie pour me repérer dans ce qui me reste de mémoire… C’était l’an de l’après-dictature, les télévisions monochromes conquéraient à grande vitesse les foyers des familles de la middle class. On vivait à l’époque les balbutiements de la démocratie à l’haïtienne, les langues se déliaient maladroitement, la presse libre et indépendante lançait à tout va des appels à la vigilance ou à la violence, la musique populaire s’engageait aux côtés du bas peuple pour déconstruire l’imaginaire duvalierien, vieux de 29 ans… Makout pa ladann, disait-on.
Pourtant, contrairement à l’euphorie générée par la chute du tyran, le Conseil National du Gouvernement (CNG), le gouvernement d’alors, planifiait savamment le maintien du statu quo pour les décennies à venir… Le Roi est mort ! Vive le roi…
Et moi, avais-je une conscience politique des remous de l’époque ? Non, Comme Farid, j’avais 5 ans, je découvrais à peine que la rue Capois, là où j’habitais, faisait partie d’un ensemble plus grand, plus complexe, Port-au-Prince.
Le 17 mai 1987, pour la première fois, mes parents m’ont fait visiter le centre-ville, la famille allait acheter des petits fours à la Boulangerie Saint-Marc, puis on devait dîner, en famille, à « Au Bec fin », à la rue Pavée. Depuis cet évènement, j’ai appris à aimer secrètement cette ville.
Je suis tombé amoureux de ma geôlière… Port-au-Prince ! Vil carcan, prison à ciel ouvert, Port-au-Prince- la-maudite chassant volontairement ses filles et fils…
Comment aimer cette étourdie si ce n’est que dans la clandestinité ! À défaut de l’aimer, on peut parler d’elle comme on évoque un souvenir heureux… On veut parler d’elle parce que, pour les gens de ma génération, elle est le témoin muet du passage de l’enfance à l’âge adulte.
Cette année, le festival de théâtre et des arts de la scène En Lisant ne peut passer sous silence les liens affectifs qui le rattachent à Port-au-Prince. Il faut dire la ville, il y a urgence de le faire. Urgence de théâtraliser le tout Port-au-Prince, l’espace d’une édition d’En Lisant… Car, il faut restituer la mémoire sanguine à cette ville anémiée.
Du 11 au 17 décembre 2023, pour la huitième édition d’En Lisant, le public aura à découvrir une programmation vintage made in Port-au-Prince… Parce que, à l’unisson, nous devons le dire à gorge déployée Port-au-Prince ne mourra pas !
Port-au-Prince,
Le 16 novembre 2023
James Pubien
Add Comment