In Memoriam Farid Sauvignon

In Memoriam Farid Sauvignon

Tu nous as fait un sale coup, Farid.

Farid, tu étais un grand silencieux. Comme si tu n’avais bouche que pour donner parole à tes personnages. Par ta voix et ton corps, ils disaient leur vie, leur amertume, leur douleur et leur chagrin. Tu ne parlais pas beaucoup, mais ta parole était empreinte de sagesse et de sincérité. Cela me fait penser à cette réplique que tu avais si bien dite dans Victor ou les enfants au pouvoir de Vitrac. Toi, jouant le personnage du GÉNÉRAL Etienne Lonségur.

VICTOR
Vous promettez, général ?
LE GÉNÉRAL
C’est tenu d’avance. Parole de soldat.

Ces extraits témoignent de la personne que tu fus. Le comédien est un soldat, répétais-tu souvent.
Tu étais d’un sérieux. L’incarnation du respect de la parole donnée. Mais pour une fois tu n’as pas tenu parole. Ce vendredi matin, au téléphone, tu m’as dit que tu serais avec nous pour la reprise de Le chêne endormi à Quatre Chemins, en novembre prochain. Mais tu es parti. Parti trop tôt.

La mort, cette faucheuse, a eu raison de toi, mon ami. Quel dieu a permis cela ? Quel jeu d’acteur médiocre tu nous a fait. Je n’aime pas cette manière d’incarner, d’interpréter, de vivre son personnage, trop crédible à mon goût. Pourquoi toi, si tendre et si doux ? Comment la mort a fait pour s’attaquer à un cœur aussi bon que le tien ? Je convoquerai tous les anges, Erzuli Dahomey, la déesse de l’amour, tous les dieux, Agamemnon s’il le faut, pour leur poser la question. Ils me la doivent cette réponse.

« Dieu suprême qui lances la foudre terrible et qui chasses les nuages, roi de la terre et du ciel, qui reçois des vainqueurs l’hommage de leurs trophées ; toi aussi, Junon d’Argos, épouse et sœur du plus puissant des dieux, je vais offrir avec joie sur vos autels les victimes, l’encens et les prières que je vous dois. »

Je te sors ces mêmes répliques que tu disais avec tellement de rage dans nos répétitions. Je te cite cet extrait de texte que je t’avais confié pour le personnage du chêne dans cette pièce d’Andrise Pierre. Te rendre hommage, rendre un dernier hommage au chêne. Salut l’artiste ! Merci pour tout mon bon vieux vin de Sauvignon !

Eliézer Guérismé

Drôle de toi ou drôle d’hommage à Farid…

Tu plaçais le silence avant les mots. Tu interprétais gravement de tristes personnages imprégnés d’impudeur. Tu jouais au Théâtre comme on joue à la bille… Théâtre pour la vie, quand as-tu planifié cette macabre mise en scène ? Pourquoi la scène survit-elle à la pièce ? Chute le rideau, les lumières une à une s’éteignent, la salle se vide, les spectateurs s’en vont, les applaudissements aussi ! Nous, nous demeurons amis… Plus tard, nous allons trainer notre blues qui s’apparente au gangsta rap dans la nuit pourpre des zones rouges, zones de non- droit où l’espoir n’a plus droit de citer… Vin blanc ou vin rouge pour ce Sauvignon du terroir ? Non pas la peine… Une bière fraîche aussi rafraichissante qu’une présence qui compte fera l’affaire… Des cigarettes ?… Oui une, une seule comme l’être qui manque et qui dépeuple l’existence ! Oui une seule, donne- moi une seule raison pour invalider ta présence ? Farid, tu es mon ami, les amis sont faits pour ça… Pas la peine de se sauver par le gong, quand la porte est grande ouverte… Pas la peine de dire au revoir à des gens qui partiront dans un futur proche. Comment dire “tais- toi” à quelqu’un qui a le silence comme langage ? Bon continue, oui continue… Pour la route, ne t’inquiète pas, personne ne connaît le chemin… Prends ton temps, tu nous feras des excuses dès que l’occasion se présente. Nous te comprenons, nous sommes tes amis, les amis sont faits pour ça ! Sans rancune, vas, nous t’aimons… Oui tu peux t’en aller… Quel type, ce mec-là… Bah ! Drôle de toi, mon ami !

James Pubien,
Port-au-Prince, le 15 octobre 2023

Dernier acte !

C’était attendu au tournant de la route que l’on devait se séparer. Se séparer, oui, mais élégamment, sans écorcher l’amitié. Ti Towo w ap pran pen kotidyen w! Ben oui zanmitay, l’eau et le pain symbolisent toujours la nourriture du pèlerin.

Jamais on n’aurait cru que ta lumière serait éteinte avant même le lever de rideau. As-tu eu le temps de quitter la scène ? Camarade, ton décor est toujours planté dans la chambre, tes chaussures, tes sandales, ton uniforme de Police, tes chemises et tes pantalons, tes bouteilles de rhum et ta dernière cigarette…
Farid, viens défaire ton décor car nous ne sommes plus au théâtre ! Il suffirait de croire que t’avais prévu de remonter sur scène, mais cette fois, c’est la scène de ta vie qui se joue sur les planches. Mais, sur quelle planche pourra-t-on interpréter dignement ton personnage avec sa grande moustache et ses instants ponctués de silence ? Oh ! Comme ta vie était faite de silence pour signifier ton grand talent de comédien ! Là encore on se perd dans les méandres d’une vie aux mille facettes faites d’explosion de joie, de murmures et de non-dits…

Toussaint T. Jean François

Cher Farid

Je pourrai m’enorgueillir de t’avoir connu, d’avoir eu l’immense privilège de jouer du théâtre à tes côtés. Du théâtre. Oui tu étais fou de cet art. Tu lui allais si bien, tu donnais de tout et de toi. J’ai toujours eu les étoiles dans les yeux en te voyant sur le plateau.

Malheureusement la mort est une faucheuse, une vielle taupe, j’espère pour le coup qu’elle t’enveloppera et que tu trouveras la paix.

J’ai eu la faveur de connaître ta générosité et de vivre ton amour du théâtre dans les rues de Port-au-Prince, du moins ce qu’il restait de cette ville qui nous porte tous malgré elle.

Farid Sauvignon tu es une étoile, un ange, une perle rare. J’espère que tu reposeras en paix.
Dans mon cœur à jamais.

Naïza Fadianie Saint-Germain

« Ah Farid, ou pa ta fè nou sa…!

On n’aura pas le temps de travailler ensemble, même si je t’avais pourtant fait découvrir ce beau texte, prémonitoire donc, de Beckett qu’on aurait pu monter : Cap au pire.

Toi qui étais d’une grande tendresse, d’un regard doux, qui faisais son métier de comédien de théâtre sans heurt ni aigreur, jamais, cette élégance qui te caractérisait, par le théâtre la rémission, par le théâtre renaître, vivre, que la terre te soit douce et légère.

Courage, courage à ta famille. »

Guy Junior Régis

Camarade Farid

Un jour, je prendrais le temps de parler de ton cœur, je dirais qu’un AVC que deux AVC ni même trois ne t’empêchait de donner ce cœur à partager comme un gâteau.

Je raconterais comment sans te rencontrer, on m’avait parler de toi, d’une pièce de théâtre qui avait fait scandale à cause de la nudité et d’autres vétilles. Je dirais le moment où je t’ai croisé calme comme tout dans ce bar de la rue Magloire Ambroise. J’ai appris que tu t’appelais Farid Sauvignon, tu avais le visage d’un bon vin et un tic de tendresse. Tu gérais une bibliothèque à Jacmel et tu semblais malheureux.

J’aurais dû te demander ce que tu portais comme tristesse, tu aurais sans doute répondu l’autre. J’avais 20 ans et pas de temps pour les grandes questions.

C’était le moment de hurler dans le bar, à qui était le plus brillant, qui avait lu plus de livres, qui criait le plus fort sur la table.

Je parlerais du soir où je t’ai croisé en train de pleurer dans la rue perpendiculaire à celle que j’habitais à l’époque. Maladroitement, je t’ai proposé de passer avec moi chez la marchande de “fritay” et je t’ai dit qu’il y avait du rhum chez moi. Les maisons où j’ai vécu à Port-au-Prince ont toujours été des QG, quand ce n’était pas Valery ou Jean D’amerique, c’était Anyès où Kervens ou d’autres qui venaient y habiter où passait une nuit pour la fraternité. Ce soir-là, tu es rentré au QG. C’était l’époque où l’on se donnait du “camarade” l’époque « tu es Marx ou Gramsci », l’époque “frère de plumes”, l’époque “toute ville qui ne me passionne pas la nuit mérite d’être brûlé”.

Je ne dirais sans doute pas qu’à cette époque, j’étais un prince aux yeux de feu avec une rose entre les dents. Il paraît qu’on n’a pas toujours 20 ans de la même manière. Je ne parlerais pas du soir où je suis rentré avec cette meuf, une célébrité et qu’il fallait être discret sur sa présence chez moi et tu n’as jamais cherché à savoir plus. Je ne dirais pas qu’un jour W.M. m’avait convaincu de jouer l’argent du loyer au poker et que c’était toi qui m’avais sauvé la mise en payant le loyer. Tu ne m’as jamais traité de tête brûlée, tu regardais mes vingt ans avec ce calme de sage qui avait passé par là.

La première attaque d’AVC, c’était dans cette maison, ma sœur Sephora qui me rendait visite tu avais trouvé. Je crois que j’ai grandi en quelques secondes. Les feuilles d’amandiers que je tentais de mettre sous tes pieds, l’arrivée de l’infirmière ensuite de James Pubien, Toussaint et Chelson, la salle de l’hôpital général, ta paralysie. Mes plus belles journées qui consistaient à aller te chercher chez ta mère à Carradeux et t’emmener dans la clinique de rééducation à Bourdon. Qu’est-ce qu’on rigolait dans la Jeep, la voiture du général. Et tu remerciais le soir quand je te déposais et je disais Farid, va te faire foutre avec tes remerciements. Et ce moment où je t’ai revu sur une scène de théâtre, j’avoue que j’ai eu peur et je priais doucement pour que rien ne gâche ce moment. Et puis, la deuxième attaque, tu as repris les planches. Tu étais le Cassius Clay des attaques de cœurs, tu étais programmé pour vivre 100 ans.

Je sais que tu gardais beaucoup de choses dans tes chambres intérieures. Tu ne m’as jamais dit pourquoi tu pleurais le soir où tu es venu à la maison. Je ne t’ai jamais demandé non plus d’ailleurs. Je l’ai su comme cela, comme on sait les choses. J’ai ce dénominateur commun de silence avec toi. Mais peut-être qu’un cœur c’est un peu comme un tapis, tu vois, quand on balance les miettes de la vie pas jolies dessous, bien cachées. Peut-être qu’un jour ça déborde. Aujourd’hui, tu sais, je veux être triste comme une cathédrale dans une ville sans lune. Aujourd’hui, j’ai envie de pleurer comme un con. J’ai envie de dire que les meilleurs partent toujours avant, j’ai envie de me demander pourquoi c’est toi qui pars, pourquoi moi… (bof). Aujourd’hui, j’ai envie d’exploser mon cœur, de laisser tout couler au pied du monde entier. J’ai envie de tout noyer. Aujourd’hui seulement mon frère, parce que demain : j’ai SOURIRE.

Béonard Monteau Kervens

 

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