Katiana Milfort, la lumineuse !

Katiana Milfort, la lumineuse !

Katiana Milfort sur une scène : elle brille. Incontestablement. Elle brille par le naturel et la singularité de son jeu. Par sa remarquable générosité : elle se donne, Katiana. Son corps. Son âme. Et surtout son histoire. On ne la sépare pas de son histoire. On les aime ou les déteste ensemble. C’est le socle de son art. Elle y puise son énergie, sa force de résister. Voilà pourquoi elle “privilégie les projets aptes à soigner ses blessures ou à dompter ses démons.”  La scène est son “lieu de victoire.” Et chaque nouvelle pièce est un nouveau combat. “Rien n’est jamais acquis. Tout est toujours à gagner,” vous confiera-t-elle avec sa voix de battante, son large sourire suivi de son éclat de victorieuse.

Aujourd’hui, le CV de Katiana Milfort est lourd de plus d’une trentaine de rôles au théâtre et au cinéma, de plusieurs mises en scène et aussi d’une réalisation cinématographique. Mais avant les plateaux, avant la scène et ses projecteurs, il y avait une petite fille, sa mère et une librairie. La librairie Auguste. La mère prenait la très bonne habitude de récompenser les performances scolaires de sa fille en lui offrant des livres. “C’était toujours à la librairie Auguste, au boulevard Jean Jacques Dessalines,” précise-t-elle. Son amour pour les livres était d’abord physique. Elle aimait leur “élégance disciplinée” sur les rayons. Elle aimait leur odeur et la sensation d’abondance de la librairie. Des livres partout !

La mère mourut et laissa la fille, encore très jeune. Et la librairie devint pour elle un lieu plus intime, un lieu de recueillement. Elle s’y rend désormais comme pour exécuter un rituel. Parfois sans disposer de quoi s’acheter un livre. Elle se contente de balader entre les rayons, de faire la liste de ses coups de cœur.

Un matin, alors qu’elle s’adonnait, rêveuse, à sa promenade rituelle entre les étagères de la librairie, elle croisa Daniel Marcelin, célèbre homme de théâtre haïtien, fondateur du Petit conservatoire école de théâtre et des arts de la parole. Le bonjour généreux et les grands yeux joyeux qu’offrait Daniel Marcelin ce jour-là habitent, encore intacts, la mémoire de la comédienne. Ils parlèrent de lecture, de littérature et de théâtre. La jeune femme brulait déjà d’une grande passion pour la scène mais hésitait à embrasser une carrière d’artiste. La médecine que sa mère avait toujours souhaitée de son vivant l’effrayait énormément. Mais Daniel Marcelin a le talent de convaincre les hésitants.es, de les persuader des possibilités du rêve de faire du théâtre en Haïti. La talentueuse comédienne et actrice que nous connaissons aujourd’hui est née de cette rencontre impromptue.

Elle rejoint tout de suite le Petit conservatoire, d’abord comme étudiante libre avant de s’y inscrire régulièrement l’année académique suivante. Deux ans plus tard, en 2006, elle suit un stage en éthnodrame sous la direction de Pietro Varrasso, pédagogue au conservatoire royal de Liège. En 2007 déjà, Katiana Milfort fait une entrée fulgurante sur la scène professionnelle. Elle incarne la Cuisinière dans la pièce L’election d’Alexandre Sutto, de Dimitru Crudu, mise en scène par Benoit Vitse. La jeune comédienne, par son goût naturel de bousculer les limites, accepte de jouer une scène nue dans la mise en scène. Les journalistes les plus sexistes s’en sont donné à cœur joie. “Ce qui a sauvé cette pièce du flop total, ce sont le talent extraordinaire des acteurs et les fesses de Katia !” exclama le journaliste Philippe Desmangles à la chute de son article sur la pièce, paru dans les colonnes du nouvelliste, le 26 septembre 2007. La pièce s’affichait sur deux jours consécutifs. La violence de certaines critiques, se souvient la comédienne, ont forcé le metteur en scène à feutrer sa nudité d’un foulard transparent, le jour suivant.

Fondamentalement incrédule, têtue, Katiana Milfort persiste et décroche son diplôme en 2008 au Petit conservatoire. Elle n’arrêtera jamais de se recycler cependant, non seulement à travers les livres mais aussi en suivant les ateliers de talentueux et talentueuses hommes et femmes de théâtre. Elle participe en 2017 au 19ième rencontre internationale de théâtre à Corse en France où elle a côtoyé les travaux de Robin Renucci, de Serge Nicolaï et de Philippe Caubère. Il arrive de temps en temps à Katiana de prendre du recule, de s’effacer pour se ressourcer ; mais jamais il ne lui arrive d’abandonner le théâtre ou même de penser à faire autre chose. Dans ses moments de doute et d’égarement, elle se retire dans une ville de province où elle se consacre à la transmission. À Jacmel, Aux Cayes, elle a un peu partout des groupes de jeunes à vide d’apprendre auxquels elle essaie de transmettre ce qu’elle a reçu. “La transmition est une redoutable source d’énergie, confie-t-elle.

Katiana Milfort s’essaye aussi au cinéma. Son histoire avec le septième art a commencé comme un flirt. Un petit rôle de figurant-danseuse dans le long métrage Pluie d’espoir, du réalisateur haïtien Jacques Roc. On la retrouvera ensuite dans plusieurs feuilletons radiophoniques dont “Bis kafou” d’Amos César. Petit à petit son idylle avec le cinéma allait prendre des proportions inattendues. Elle obtient des rôles de plus en plus importants. En 2013, elle interprète le rôle de l’étudiante dans Dimanche 4 janvier, un long métrage du réalisateur français François Marthouret, selon le roman Bicentenaire de Lyonel Trouillot. Elle décroche le premier rôle féminin du film Mythe de la caverne réalisé par Ciné institute en 2014. Passionnée des projets traitant de la condition féminine, elle nous livre tout son cœur dans le rôle de Nadine dans le film Laissez-les décider du réalisateur Dominique Philippe en 2016. Ne se lassant jamais de se former, elle participe en 2017 à la formation en réalisation cinématographique avec Kinomada dans le cadre du festival Nouvelles vues et réalise, la même année, le court métrage Zaho. En 2019, on découvre une Katiana toute rayonnante dans le rôle de Manbo Katy dans le film Zombi child du réalisateur français Bertrand Bonello, sélectionné au prestigieux festival cannes 2019.

Katiana Milfort est aussi entrepreneure. Une entrepreneure militante. On ne se demande pas assez de quoi vivent ceux qui ne peuvent faire que du théâtre en Haïti. Ceux qui consacrent leurs vies à ce métier.  Nous vivons aujourd’hui une tyrannie stérile de l’entrepreneuriat qui ne fait aucune place à l’imagination. Les économistes les plus médiatisés nous limitent au jeu facile de nous accommoder aux demandes déjà existantes comme si, de toujours, l’humanité avait aimé la bière. Ils oublient que les demandes et les goûts se créent aussi. Katiana Milfort résiste à cette paresse et lance en 2018 avec quelques amis.ies tels que James Fritz Olson Gabriel, Max Robenson Vilaire Dortilus, Rolls Calixte, Smith Sajous, Gaëlle Bien-Aimé, Steevens Alexandre la production Enjeu. Une entreprise qui entend produire des spectacles de théâtre dans un pays dépourvu d’infrastructures culturelles. Ils nous ont déjà proposé au moins cinq pièces. Temps mort de Michel Philippe Lerebours, mise en scène par Billy Elucien, Mes mains pleuvent dans l’histoire de Jacques Roches mise en scène par Thomas Numa, Les immortelles de Makenzy Orcel, adapté et mis en scène par Lesly Maxi…

Bien sûr qu’aujourd’hui, comme pour la plupart des entreprises, les activités de sa société se trouvent paralysées avec la montée déroutante de l’insécurité à Port-au-Prince. Mais elle aura tenté de proposer du neuf dans le milieu des affaires.

 

 

Jean Billy Mondésir

Rédacteur du Journal d’En lisant

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