Ketsia Vaïnadine Alphonse: grande comédienne, pas une grande gueule

Ketsia Vaïnadine Alphonse: grande comédienne, pas une grande gueule

Crédit photo: Gio Casimir

 

Ketsia Vaïnadine Alphonse.

Ce nom de comédienne de grand talent est souvent prononcé dans le milieu culturel haïtien. Elle est aussi dramaturge et parolière. C’est une référence par rapport aux nombres de projets artistiques dans lesquels elle participe ou qu’elle réalise elle-même.

Ketsia, un nom qui resonnera encore longtemps et longtemps encore dans notre quotidien et nos plus illustres archives théâtrales.

D’abord, vers qui le théâtre est arrivé

À peu près quinze ans, Ketsia Vaïnadine Alphonse a dit oui au théâtre et ils sont devenus inséparables. C’est une relation d’amour influencée par des rencontres remarquables et des actes d’amitié.

Ainsi, révèle-t-elle : « Le théâtre est arrivé vers moi et j’ai eu un coup de cœur pour ce métier. J’étais encore à l’école classique, il y a eu Ricardo Lefèvre qui enseignait l’art dramatique. Banal pour certains peut-être mais une vraie passion a commencé à prendre forme. Et je me suis dit, tout de suite, que je vais faire ça. Honnêtement je ne pensais pas que cela allait devenir mon métier, mais je le voulais dans ma vie, le théâtre. Soit en 2008 j’ai intégré la compagnie Théâtron dirigée par Patrick Joseph. Et là j’ai rencontré une femme superbe aussi qui m’a tenu la main, Pascale Julio. Je tiens toujours à parler d’elle, surtout dans ce contexte où faire du théâtre en Haïti est devenu si difficile. Une date aussi qui m’a marquée, c’est ma rencontre avec Jhonny Posy de très regretté mémoire. Un homme passionné. Avec lui j’ai travaillé sur « Troufoban » de Franketienne. Et depuis, je ne me suis jamais arrêtée ».

Après ses rencontres, apparaissait le temps des formations en art dramatique, mais il faut dire qu’elle les a eues au plateau. Sur le tas, diraient certains. « Je n’ai pas fait d’école. Je me mis à l’écoute à chaque fois que j’avais la chance d’être dirigée. Écouter, lire, discuter à n’en plus finir. J’ai appris pleins de choses comme ça en fait, en y pensant. Ma mère, après tout, n’aurait jamais voulu le théâtre pour moi. Au fait, je la comprends. On souhaite toujours du mieux pour ses enfants. Je suis reconnaissante d’avoir eu des mentors, des gens qui me faisaient confiance. Je suis reconnaissante d’avoir fait une grande partie de la route avec des artistes « fous » où jouer était un point central de leur existence. J’ai appris les codes de ce métier en regardant les autres travailler. J’ai galéré, ça fait un peu partie du jeu, je dirais mieux du jeu théâtral. Mais je suis là aujourd’hui à incarner des personnages, à faire voyager mon public ».

 

Ensuite, rêver au-delà de beaucoup de choses

Ketsia dit porter le théâtre dans tous les compartiments de son corps et elle n’y peut absolument rien. Ça impacte toute son existence et tout ce qu’elle aurait pu entreprendre d’autre dans sa vie.  Son aveu est hyper sérieux sur la question : « J’ai beau essayé mais difficile de ranger le théâtre dans une partie de ma vie et de laisser de la place à d’autres activités. Il prend toute la place. Tout ce que je fais tourne autour de ce métier. C’est mon espace de liberté. Il m’apporte une joie profonde. Beaucoup de soucis aussi, ce n’est pas un métier facile. Une création déborde toujours, ne se cale jamais comme on le prévoit. Le théâtre me permet aussi de me positionner dans la vie. De me poser certaines questions existentielles. De rêver au-delà de beaucoup de choses.

En vrai, se pose la question du coup de foudre emmenant cette femme vers son amour sans failles pour le théâtre. Et c’est après le tremblement de terre dévastateur de 2010 que cela se passe. « Il y a eu une tournée avec Paula Clermont Péan, le spectacle s’appelait Lago Lago alarive timoun. Ça a duré plusieurs mois et on a joué dans plusieurs villes du pays. C’était très intense », a-t-elle dévoilé.

Ketsia Vaïnadine Alphonse

Crédit photo: Reginald Louissaint Junior

Mais, de « glorieuses » prestations au théâtre, Ketsia ne sait pas si elle peut mobiliser un vocabulaire aussi pompeux, car, quoique les gens parlent beaucoup d’elle et de ses spectacles, elle n’a jamais vécu ces moments comme légendaires. La raison est là et son explication est simple, claire, comme de l’eau de roche : « Un spectacle est toujours, à mon humble avis, un espace de remise en question de la liberté tel qu’on la perçoit. Mais il y a des spectacles qui m’ont marquée. Des journées de répétitions qui font encore partie de mon quotidien, de mes blagues. Je me souviens encore de « Cinglée » avec Michèle Lemoine, elle était l’invitée d’honneur d’En Lisant et de Quatre chemins. Je me souviens de In Memoriam de Jean-René Lemoine avec Miracson Saint-Val comme metteur en scène. Je me souviens encore de Sang Brides, en 2015, avec Kenny Laguerre et Donel Charles. J’avais écrit le texte et Miracson, quand il a voulu le monter, m’a choisie comme comédienne principale. Je me souviens de pleins de moment de travail. Loin de moi de les compter chronologiquement, cette idée ne me rassure pas. Je préfère les conserver, conserver chaque moment avec des collègues, c’est plus important, je crois ».

Bref, de près ou de loin, c’est le théâtre qui donne du relief aux jours de cette femme. C’est, en effet, son sacerdoce. « Je suis une passionnée de tout ce qui est création. Je suis une comédienne qui suit des ateliers de danse pas pour être danseuse, des ateliers de chant pas pour être chanteuse, etc. Je crois que ce sont des atouts pour être plus réceptive au texte, à la mise en scène, à l’exigence du travail. Mais je veux garder toute ma force pour le théâtre. Pas forcément d’être au-devant de la scène, je peux aussi faire partie des techniciens qui travaillent dans l’ombre, de l’équipe qui fait bouger les choses. J’adore la production. C’est aussi mon rôle au sein de la Cie Bazou, compagnie que je codirige avec Miracson Saint-val. Je veux toujours être là, quelque part, non loin de la scène.

 

Enfin, regarder le monde différemment

A-t-elle une définition du théâtre ? Oui et non. Mais pourquoi ?  « Parce que la question est à la fois simple et compliquée ! Parce qu’en fait elle est tout ou rien pour moi », dit-elle. « Le théâtre est ce moment de pur bonheur qui te faufile entre les doigts mais que tu sais qui va revenir. Je n’ai pas de définition rigoureuse de ce que je ressens. C’est tellement riche et éphémère à la fois. Il y a quelque chose qui compte pour moi et que le théâtre favorise amplement : dire des choses qui peuvent changer la vie des gens. Des choses qui permettent de regarder le monde différemment. Le théâtre permet de dire ! Pas d’avoir une grande gueule ».

C’est aussi peut-être une disparition, le théâtre, et c’est ce qu’elle nous apprend : « Je ne crois pas que je peux mettre des mots sur ce qui me traverse quand je suis sur scène. Le temps du spectacle, c’est le temps d’une vie. Et cela même quand on a bien répété, qu’on maitrise son texte. Je peux te dire que je suis tres heureuse de pouvoir sortir de moi-même le temps de cet instant. De prêter mon corps à des bouts de textes pour qu’ils existent différemment. Cette sensation de disparaitre pendant quelques heures. D’évacuer »

Voyez-vous, pas de débat là-dessus : cette comédienne dit le sens du théâtre avec grandiosité. Pas besoin d’affirmer qu’elle tient énormément à la suite de sa carrière artistique. De certifier qu’elle continue à travailler chaque jour, même si l’atmosphère socio-politique d’Haïti est insupportable. Non plus, il n’est pas nécessaire de faire comprendre, pour Ketsia Vaïnadine Alphonse, qu’il arrive au théâtre de se poser à elle comme une bête enragée. « Si tu aimes ce métier, conseille-t-elle à celui et celle qui aimerait se lancer, sache que l’amour ne suffira pas pour le faire. C’est comme dans une vie de couple. C’est un métier ingrat, épineux, éphémère mais qui procure un bien fou. C’est un métier qui change les gens à jamais. Faut avoir conscience de ça.

Et en somme, concluons ce qui suit : diplômée en Administration à la Faculté Craan d’Haïti, en 2010, Ketsia Vaïnadine Alphonse est cette comédienne d’exception qui a défié la bureaucratie et qui s’administre de textes et de personnages parce que dans ce lieu, à la fois réel et imaginaire, elle peut dire le monde, le poétiser ou le politiser. C’est donc un pouvoir hors-norme sur la vie et la mort. Et c’est ce même pouvoir, ce lieu commun entre la vie et la mort, qu’elle nous livre à travers ce personnage principal de la pièce  « Le chêne endormi » d’Andrise Pierre au Festival de théâtre et des arts de la scène En lisant.

Carl-Henry Pierre

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