Le monologue, une belle métaphore du monde contemporain

Le monologue, une belle métaphore du monde contemporain

Le monologue, une belle métaphore du monde contemporain

Depuis quatre ans, le festival En lisant est organisé durant la période estivale dans un double souci d’agitation de débat autour de la pratique du théâtre et de diversification de l’offre culturelle pendant les vacances d’été. Pour cette nouvelle édition, qui se déroulera du 8 au 17 juillet à Port-au-Prince, le festival explore un répertoire de textes faisant la part belle aux questionnements relatifs au monologue, à la solitude et à ces implications. L’équipe du festival est allée à la rencontre de Nehemy Pierre-Dahomey, poète et romancier, qui animera un atelier sur l’écriture du monologue durant cette quatrième édition.

Que peut vouloir dire et représenter un festival de dramaturgie contemporaine consacré au monologue ?

Eliézer Guerismé me propose, dans le cadre de cette édition 2019 du Festival En Lisant, de mener un atelier devant déboucher sur l’écriture de monologue par les participants et par moi-même, à raison d’un projet différent de chacun. Le monologue est une région complexe de la dramaturgie puisque par définition, tout texte, théâtral ou pas, peut être soumis au jeu de la représentation à une seule voix.

Si le monologue se définit par le fait qu’un seul personnage parle, rien ne l’empêche, et c’est même souvent le cas, de travailler sur une polyphonie, laissant la place par sa propre voix à l’émergence de plusieurs autres sensibilités, plusieurs autres personnalités que la sienne. En ce sens, le monologue est un lieu d’appropriation de soi-même et des autres. On est seul, on dit pour soi et on dit pour eux.  Dans le même mouvement, le monologue est aussi l’endroit où l’on se sait traverser par plusieurs voix. C’est-à-dire que l’on n’est pas si seul à dire, puisque beaucoup disent à travers soi. La situation est paradoxale. Alors qu’à partir du dialogue, qui fonde l’acte théâtral, l’on fait apparaître plusieurs personnages – ce qui compartimente la parole, ce qui la désolidarise à la fois de son auteur et, pour chaque personnage, des autres qui sont sur scène – dans le cas du monologue, l’on fait disparaître tous les personnages derrière une seule voix, pour les faire apparaître autrement.

Je suppose que c’est une belle métaphore du monde contemporain, où l’individualisme, l’isolement dans sa bulle de consommation et, de plus en plus, dans sa bulle numérique, font de chacun la voix de tous : un et plusieurs, où l’on est l’interface unique des désirs et des aspirations de notre groupe (social, politique, économique, ethnique, genré etc.) sans jamais vraiment faire allégeance ou vraiment rencontrer les autres membres du groupe. Comme si on était chacun des caisses de résonance isolées qui livraient le même brouillamini de sons, sans être soi-même un son unique combiné à celui des autres, ni une nuance sonore dans un concert organisé. Chacun fait tout, mais séparément et sans vraiment se rencontrer.

À moins que pour une question de budget, Eliézer Guerismé avait considéré que c’était plus simple de faire jouer les acteurs un seul à la fois. Mais ceci n’exclurait tout de même pas cela.

Que nous apprend  le  théâtre sur les logiques sociales qui régissent la société et comment la société en retour se perçoit et /ou s’identifie à travers ce discours ?

C’est peut-être la question du théâtre militant. Comme en littérature en général, je ne crois pas que les logiques sociales se dénoncent seulement parce qu’on veut les dénoncer. De telle sorte que, le théâtre politique, pour moi, n’est pas tant de dire aux autres : votre situation sociale et votre position politique ne sont pas les bonnes, voici celles qui sont bien ! Non, il me semble que la scène doit désolidariser le spectateur, quel qu’il soit, de son point-de-vue, de son groupe, de sa classe, de sa race, pour l’amener à comprendre, à saisir, à souffrir ou à rire de ce qu’il n’est pas. C’est en pleurant avec les autres qu’il devient vraiment celui qu’il est. Car les autres pleurent et se rient aussi de lui. C’est bien simple : je ne deviens pas meilleur spectateur parce qu’on me dit que les plus forts sont des méchants – ça, à la limite, on le sait déjà – je gagne en conscience politique quand je saisis les failles qui dirigent l’action des autres, et que les autres se saisissent de mes propres faiblesses. Un théâtre, en somme, qui n’a rien de monologue, du moins dans ses effets.

 

Quelle place détient le monologue et la mise en scène de soi dans la vie du sujet contemporain et dans les sphères politiques ?

Je ne sais pas. Une très grande place, je suppose, vu que chacun a les moyens aujourd’hui de se mettre en scène et d’être son propre média – un peu comme dans un long monologue où l’on se raconte aux autres, au regard de ce qu’on était censé faire avec eux.

Le théâtre et vous, quel rapport ?

J’ai joué. J’avais toujours joué jusqu’à 2015, quand j’ai décidé d’arrêter pour parer mon premier roman, publié en 2017. Je suis spectateur. Et bientôt je vais en écrire, grâce à l’atelier d’En Lisant.

 

Comment devient-on dramaturge en Haïti ?

Je pense que c’est en écrivant du théâtre, comme ailleurs. Mais le parcours de légitimation est sûrement différent, compte tenu de tout ce qu’on vient de se dire.

 

Comment se porte la production théâtrale en Haïti ?

Ça dépend s’il s’agit de texte de théâtre ou de la mise en scène. L’écart me paraît très grand : il y a beaucoup plus de mises en scène que de textes de théâtre disponibles. Encore une fois, l’idée de l’atelier est aussi d’aider dans ce sens-là. Eliézer Guerismé m’a dit, si je t’ai choisi toi, c’est pour inciter les gens qui écrivent déjà à se mettre à l’écriture théâtrale. C’est une bonne idée. L’idée d’Eliézer Guerismé et d’En Lisant c’est quand-même de booster un peu la production théâtrale, forcément insuffisante, puisqu’il n’y a pas d’édition spécifiquement théâtrale, sans parler de la pénurie de salles et de productions. Je trouve par contre que les espaces détournés sont très bien utilisés.

A quoi pense-on quand on est seul ?

Ça dépend de qui et ça dépend de ce qu’on fait tout seul. En lisant, on jouit, on s’amuse ou l’on s’ennuie. En écrivant, idem. En dormant, on dort. En regardant un film, même chose pour la lecture – sauf quand c’est du porno : on projette de se masturber si ce n’est déjà fait.

Propos recueillis par Stephane SAINTIL

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