Mot de la direction artistique

Mot de la direction artistique

Choisir d’écrire du théâtre c’est prendre un risque énorme. Le théâtre a toujours été traité en parent pauvre. Il y a aucun doute là-dessus. Mais Andrise a fait ce choix sans aucune hésitation. Elle y est allée sans détour. En lisant est fier d’elle. Fier de ce chemin qu’elle a décidé de prendre. Je vois dans le théâtre d’Andrise de la force, de la clarté et de la lucidité. Les gens ont souvent tendance à penser que les auteurs de théâtre sont invisibles, qu’ils ne comptent pas, qu’ils n’existent pas. Ils pensent que les histoires qui sont fabriquées et jouées sur scène sont nées par magie. Pourtant les histoires créées et représentées sur scène sont le fruit de longue période de travail. Ces auteurs-là se sacrifient pour construire ces récits. Et Andrise en fait partie. Ils sacrifient une part d’eux-mêmes pour camper ces récits qui seront par la suite interprétés par des comédien.nes à travers de mises en scène aux qualités inégales. Les auteurs jouent un rôle capital dans la perpétuation du théâtre. Dans l’ombre, ils sont sous payés ou pas payés du tout. Dans le milieu du théâtre haïtien, il y a cette fâcheuse tendance à ne pas respecter les droits d’auteur. Voilà le triste vécu des auteurs et autrices de théâtre haïtien. C’est pour cela que le festival a décidé de travailler avec une autrice de la nouvelle génération. Pour envoyer un signal clair. Pour dire que le théâtre doit tenir tête haute aux côtés des autres genres littéraires.

Ce que j’aime dans l’écriture d’Andrise c’est sa puissance, la puissance du style, la puissance des mots choisis. On est confronté à l’histoire personnelle de l’autrice. Elle prend le risque de raconter sa vie intime.  Cette écriture part non seulement du « je » pour aboutir à d’autres « je » … L’imagination d’Andrise ne s’enferme pas à elle mais s’ouvre à l’autre. A tous ces autres qui ont connu dans leurs chair et âme la somme de toutes ces douleurs et souffrances inhumaines. Le théâtre d’Andrise est à l’écoute de toutes les violences que connaissent tous les humains et surtout les femmes. Comment écrire la violence sans être pris dans le piège de la compassion ? Enfin de compte, c’est cela le théâtre d’Andrise. Le théâtre d’Andrise est une écriture théâtrale contemporaine qui nous parle. J’aime bien les dramaturges qui sont en contradiction avec l’art théâtral. L’art ne doit pas être figé. J’aime bien l’écriture théâtrale qui s’inscrit dans la rupture. Qui suit sa propre trajectoire. L’écriture dramaturgique qui bouleverse le/la comédien.ne, qui secoue le/la metteur.e en scène. J’aime bien les auteurs qui proposent une œuvre qui est victime de malentendus. Une œuvre qui est souvent mésinterprétée. Une œuvre qui bouleverse les metteurs en scène et les comédien.nes mais qui sera finalement montée, jouée, rejouée des centaines et des milliers de fois. Une œuvre qui ne reste pas indifférente aux appels désespérés de la souffrance humaine, pour paraphraser René Depestre.

Andrise.

Il y a un Ça, ce petit pronom démonstratif présent dans l’écriture d’Andrise qui me fait souvent penser au Ça de Stephen King.

Eliezer Guerisme

Port-Au-Prince, 25 novembre 2022

Add Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *