Schebna Bazile : « Le théâtre, une philosophie de vie »

Schebna Bazile : « Le théâtre, une philosophie de vie »

Credit photo Pyelila

 

Schebna Bazile est comédienne, metteuse en scène et dramaturge. Née à Borgne (Obòy), dans le département du Nord, le 13 juin 1994, Schebna est une femme qui se construit au fil des années par le théâtre, mais aussi pour le théâtre.

Mais, comment est-elle arrivée à cet art aussi monstrueux et tentaculaire qu’est le théâtre ?  Sans délier la langue, elle nous raconte ses premières grandes émotions au milieu d’un théâtre et son immense amour, depuis, pour la chose théâtrale.

« La première fois qu’une pièce de théâtre m’a vraiment marquée, j’étais au 3ème cycle fondamental. La troupe de mon école jouait « dérives » de Frankétienne pour la fête de Saint Joseph, et aujourd’hui encore, je me souviens des milliers d’émotions que la mise en scène a fait naître en moi. Un vrai coup de foudre. À l’époque, j’écrivais des poèmes et des romans sur mes cahiers de notes et je les partageais avec mes camarades. Je me suis dit « c’est cela que je veux réveiller chez des gens, quand ils tombent sur mes textes. L’année d’après, j’ai intégré la troupe et j’ai commencé à suivre les cours de formation d’acteur ».

La jeune femme ne s’est pas arrêtée là et a donc poursuivi le fleuve dans lequel elle a mis les pieds : « Je suis montée sur scène pour la première fois en 2010. Je jouais, en dehors des pots-pourris en atelier de débutant, une mise en scène de la nouvelle « Madan marye » de Paulette Poujol-Oriol. Monsieur Rosny – qui dirigeait les troupes de Cluny, du Collège Notre Dame, de Regina et de l’Alliance Française du Cap-Haitien – faisait jouer des auteurs haïtiens et encourageait la production des comédiens qu’il formait » a-t-elle dit. Elle a profité pour mentionner ce qui se jouait à l’époque. « Les affiches allaient du « Gouverneurs de la Rosée », « Les dix hommes noirs », « Le Torrent », « L’arriviste », « Monsieur de Vastey », vers des adaptations de nouvelles comme « L’arbre qui saigne », « La fleur rouge », etc.

En ce qui concerne ses formations en art dramatique, elle dit qu’elle les doit toutes à Monsieur Rosny Felix, de sa formation d’actrice à l’écriture scénique ou de mise en scène à la technique d’éclairage de scène.

Le théâtre : une affaire d’essence

Par rapport à l’impact du théâtre dans sa vie personnelle et ce que cet art représente pour elle, Schebna parle de ses aventures théâtrales avec une certaine aisance.

« Je prends plaisir à dire « je suis née du théâtre/ se teyat ki fè m » et ce ne sont pas des paroles en l’air. Après ma Terminale, cette période de la vie où l’on se cherche encore, j’ai intégré l’Université Notre Dame du Cap-Haitien pour les Sciences Administratives mais je tâtonnais sur les options. Le théâtre s’est littéralement imposé à moi. Monsieur Rosny, qui était malade à l’époque, m’a proposé de l’assister dans ses travaux de mise en scène : j’ai sauté sur l’occasion. Un peu plus tard, pour les fêtes de l’Université, les ainés m’ont proposée d’écrire une pièce et de la mettre en scène. Je me suis lancée. La pièce a été si bien reçue qu’elle a été redemandée pour la fête des Philosophes quelque temps plus tard. Je prends goût à l’expérience ».

 

Credit photo Pyelila

 

Et, ce n’est pas tout : « L’année d’après, je rentre à Port-au-Prince, je recroise d’anciens camarades de scène, on se retrouve tous à témoigner de combien les spectacles nous manquent et bien vite une proposition de se structurer et monter une pièce pour Décembre. On est en 2015, j’écris et mets en scène « Kanson Fè » avec une quinzaine de comédiens, et voilà comment est née la troupe de théâtre de CapArt, qui travaille aujourd’hui encore tant au Cap-Haitien qu’à Port-au-Prince. Depuis, les occasions n’ont pas cessé et moi je n’ai jamais su dire non à la scène. Aujourd’hui, c’est toute ma vie qui tourne autour d’elle. Même mes études en administration au final ne peuvent que converger vers cette aventure d’organisations d’événements culturels. Je me suis retrouvée. Je dois beaucoup au théâtre. Il n’est pas qu’un thème dans mon parcours, c’en est l’essence même. »

Avec une dizaine de pièces originales à son actif, des prix et des reconnaissances comme Le prix du roi du conseil communal de la ville du Cap-Haitien (2020), Schebna a toujours mis elle-même ses pièces en scène. Par contre, « Sòlda Twal » est l’une de ses rares pièces qui, après elle, a été gratifiée d’une autre mise en scène par Staloff Tropfort, dans le cadre de la 19eme édition du festival Quatre Chemins.

« C’est la première fois que l’une de mes pièces est mise en scène par quelqu’un d’autre que moi. Et malheureusement je n’ai pu assister à aucune des représentations. J’ai toujours eu cette retenue à partager mes pièces en dehors du cercle de mes comédiens. Je pense que c’est ce qui me retient de me faire éditer. Je préfère les faire vivre aux gens. Cette expérience a sérieusement secoué mes zones de confort » a témoigné la coordonnatrice du Prix de poésie Jean-Elie François.

Le théâtre : se transvaser

Concernant les mises en scènes qui l’ont le plus marquée, Schebna Bazile parle avec nuance et met l’accent sur la réaction du public : « Chaque représentation a sa propre histoire, ses propres cordialités et je ne connais pas la technique de notation de ces sentiments-là. Côté public, « Baboukèt » est celle qui a suscité le plus de retours. Le public redemande la pièce à chaque fois », a-t-elle souligné, ajoutant au passage qu’en dehors du théâtre, elle éprouve une passion pour le cinéma : « J’ai commencé à suivre des séances de formation sur la réalisation en 2019. En ce moment, je travaille sur une série-documentaire, « Vwa », qui relève des témoignages sur certaines expériences quasi-taboues de notre société comme les règles, la grossophobie, la dépression, etc. Je réalise aussi des courts-métrages expérimentaux que je partage sur mon compte instagram. »

En fin de compte, pour elle, c’est quoi le théâtre ? Schebna répond : « Je perçois le théâtre comme une philosophie de vie. Il y a des principes de scène que j’applique à la lettre à mon existence. Il y a aussi des valeurs, des aptitudes, comme le sens de l’écoute, de l’observation, la tolérance, l’obstination que j’ai pu particulièrement cultiver grâce à mes expériences autour de la scène. ».  Sur les planches, elle semble être d’une autre énergie : « Comme comédienne, j’ai cette impression de me transvaser. De me détacher de moi-même et devenir spectatrice de ce que je fais sur les planches et des réponses du public. Comme si, le temps du spectacle, je changeais de dimension ».

« Cependant comme metteure en scène, dit-elle, je n’ai pas cette nécessité. Je peux me permettre de « vivre » les comédiens, le public, les techniciens, voire l’auteur sans me multiplier. Je reste moi-même et les émotions trouvent leurs places sans biaiser mon travail. De la pure magie. J’en sors toujours un peu secouée. Toujours. Les habitudes ne peuvent en rien altérer l’intensité de ces ressentis ».

Il faut souligner que Schebna Bazile s’attache viscéralement au festival RASIN, au Cap-Haitien, dont elle est la coordonatrice, mais elle nourrit aussi des vœux autour des métiers de réalisatrice et de scénariste qu’elle aimerait expérimenter en cinéma. Quant aux jeunes qui aimeraient se lancer dans le théâtre, elle leur dit sans sourciller : « Lancez-vous ! Il va vous falloir plus que « l’envie » pour tenir longtemps mais c’est une expérience tellement enrichissante ! ».

Carl-Henry Pierre

Quelques pièces écrites et mises en scène par Schebna Bazile

Décembre 2015, Kanson fè

Décembre 2016, Chefs en jupons

Décembre 2017, Baboukèt

Avril 2017, Il y a des cigales dans la fourmilière

Novembre 2017, Samba

Novembre 2017, Notre père

Mars 2018, Petits péchés 

Mars 2018, Sentaniz grandi

Novembre 2018, Mémoire

Novembre 2018, Marilin

Avril 2019, Sòlda twal

Février 2020, Ta bouteille ou moi

Décembre 2021, Madan Leya

Janvier 2022, À la folie

Mars 2022, Dossier Déclassé 

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