« Tranzit » : se mettre debout pour un pays que nous ne rêvons pas…tous de quitter

« Tranzit » : se mettre debout pour un pays que nous ne rêvons pas…tous de quitter

Photos : Yves Osner Dorvil

Yanvalou. La cour bondée. Les murs habillés de drap blanc scintillent de bleue, « couleur du rêve, symbole de l’eau dans la création ». Gaëlle Bien-Aimé, boulimique artiviste tout-terrain, souffle le clap de la fin  par un concert musical imaginé pour les besoins du festival.  C’est un cocktail poétique qui boucle la traversée.

On entend textes et vieux chants vodous imbriqués, où tout y est traité : les vagues migratoires successives, les vannes ouvertes au Sud quand les portes du Nord étaient fermées, les douleurs du départ, les méandres de la traversée,  le séisme meurtrier et la chronique de nos catastrophes annoncée, les élections vite bouillies dans la marmite de l’ingérence, la paranoïa du « Haïti is open for business »,  la misère de Jalousie peinte de honte et d’indignation, la résilience, le besoin de vivre, de se mettre debout pour construire ce  bout d’île une bonne fois pour toutes.   « Il n’y aura pas de miracle pour nous ».

Il y a là une parole urgente qui gicle du bas du ventre de tous ces interprètes tous de blanc vêtus et aux voix de velours : ce pays, faut-il l’habiter (et comment) ou doit-on se résigner à le quitter ? Pour aller où ? Ecrite en avril 2020 alors confinée en Europe en raison de la propagation de la Covid-19, Gaëlle Bien-Aimé exprime dans cette pièce le malaise d’habiter cette terre laminée,  abonnée au chaos,  incarnant la figure même d’un Etat failli, moribond, les tripes vides de vision, mangeure d’hommes et de femmes capables, promis à un bel avenir, une machine à broyer des vies et des talents. Cependant, ce pays auquel on est si attachés, doit-on le quitter ?  « On ne sait pas s’il faut rester ou aller. On est entre l’ici et l’ailleurs ».

Et toutes ces voix qu’on entend flotter sur des compositions neuves, élégamment arrangées par une Donaldzie Theodore, juchée sur un tabouret,  attendant furtivement la gorge de Charline Jean-Gilles raclée les premiers mots d’ « Agwe O » avant de laisser couler  une rafale de mélodies bouleversantes de beauté, de lyrisme et de simplicité. Ces deux consœurs signent la direction musicale, ainsi que les arrangements musicaux. Gaëlle Bien-Aimé, la direction artistique et la mise en scène ; Angela Auguste, la technique. Jimmy Kerby Toussaint, locks noués en boucle autour du crâne, réveille tout un paysage sonore allant du blues au rock grattant les accords avec douceur et fluidité sur les morceaux tries pour l’occasion : « Priyè vwayajè », « Nou deside », « Jou dimanch », « Pitit mwen yo », « 300 Mil zanj » et « Woy ».

La pâleur d’un dimanche après-midi. Le soleil tire enfin ses rideaux sur une Port-au-Prince au souffle haletant de peur.  En Lisant s’est heurté à un climat sécuritaire menaçant ponctué de silence éphémère, d’explosions inattendues et de ces coups de feu invisibles qui pilonnent la ville pour offrir, bon gré mal gré, un évènement artistique de belle tenue, en dépit des lacunes infrastructurelles dont souffre la filière culturelle.

En Lisant a prouvé de la plus belle des manières que la culture, l’énergie créatrice et notre vitalité artistique peuvent laver notre honneur.

 

Rosny Ladouceur

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